XIII
SOLITUDE

Lady Catherine Somervell se leva du grand fauteuil à dossier de cuir et s’approcha de la fenêtre. En bas, dans la rue qui longeait l’Amirauté, il pleuvait à grosses gouttes.

Elle joua négligemment avec le cordon doré qui retenait l’un des rideaux en regardant les gens courir pour se mettre à l’abri. Une grosse pluie qui allait tout nettoyer, qui réduisait la circulation. La vapeur montait des pavés souillés et rafraîchissait les avenues bordées d’arbres, des arbres encore très verts en cette journée de l’été finissant.

Elle se retourna vers la cheminée vide, les vieux tableaux de batailles navales. Le monde de Richard. Elle secoua la tête comme pour chasser ces vaisseaux désuets. Non, il s’agissait plutôt de la marine de son père. Elle avait beaucoup appris en l’écoutant, en étant avec lui, exactement comme elle lui avait fait connaître son Londres à elle et, du moins l’espérait-elle, comme elle lui avait appris à l’apprécier, d’une façon qu’il n’aurait jamais imaginée auparavant.

Elle s’étudia dans une grande glace encadrée de dorures. Elle imaginait les officiers qui avaient attendu là, nerveux, inspectant leur tenue avant de se rendre chez quelque amiral qui allait décider de leur sort.

Une robe vert uni, dont le col et les manches étaient encore marqués de gouttes de pluie, celles qu’elle avait reçues en descendant de voiture. Elle portait un chapeau à large bord au ruban vert assorti. Elle s’était habillée avec soin, comme à son habitude, non par coquetterie ou par vanité, mais parce que cela lui était naturel, et à cause de Richard. Seize mois maintenant, et sa tristesse était aussi forte que jamais.

La pièce ressemblait à ce à quoi elle s’attendait. Peu hospitalière, différente du reste de l’hôtel, un endroit où se prenaient les décisions, où la vie d’un homme pouvait se trouver bouleversée d’un trait de plume.

Elle l’imaginait ici, lui, jeune capitaine de vaisseau peut-être. Ou plus tard, amiral, lorsque leur liaison était devenue publique. Désormais, tout le monde était au courant. Elle esquissa un sourire, mais l’Amirauté ne se laisserait pas impressionner par le fait qu’elle était entrée dans sa vie, ni par son titre. S’il arrivait quoi que ce soit à Richard, c’est Belinda qui, étonnamment, en serait avisée la première. Officiellement.

Au cours des derniers mois, elle s’était occupée sans relâche, aidant Ferguson ou menant ses propres projets. Mais les jours étaient interminables, et ses promenades avec Tamara sa seule distraction. Elle n’était pas retournée près du sentier de la falaise et au Saut de Tristan depuis la mort de Zénoria.

Un vieux serviteur se tenait à l’entrée. Catherine ne l’avait pas remarqué, pas plus qu’elle n’avait entendu les portes s’ouvrir.

— Sir Graham Bethune va vous recevoir, milady.

Il s’inclina légèrement sur son passage. Elle entendit presque ses os grincer.

Sir Graham Bethune vint à sa rencontre. Elle lui en avait voulu, d’avoir été aspirant sous les ordres de Bolitho lorsqu’il exerçait son premier commandement : même s’il lui avait expliqué les finesses des règles d’ancienneté, elle jugeait toujours que c’était injuste. Un grade de moins que Richard, et il était pourtant Lord de l’Amirauté, détenteur d’un pouvoir qui pouvait faire ou défaire quelqu’un à sa guise.

Mais Bethune ne ressemblait pas à l’homme qu’elle s’était imaginé. Il était mince, énergique, et arborait un sourire avenant. Soudain, et à son corps défendant, elle comprit pourquoi Richard l’avait apprécié.

— Lady Somervell, c’est véritablement un honneur. Lorsque j’ai appris que vous vous trouviez à Chelsea et que j’ai reçu votre billet, je n’ai pas pu croire à mon bonheur !

Catherine s’assit dans le fauteuil qu’il lui indiquait et le regarda posément. Il était charmeur, mais ne parvenait pas à cacher la curiosité ni l’intérêt que la vue d’une belle femme suscite chez un homme.

— Nous nous inquiétons beaucoup à Falmouth depuis que nous avons appris la perte de l’Anémone, commença-t-elle. J’ai pensé que si je venais en personne, vous pourriez me donner davantage de nouvelles… si toutefois vous en avez, sir Graham.

— Je vais faire servir des rafraîchissements, milady.

Il regagna son bureau et agita une clochette.

— Oui, c’est exact, nous avons reçu d’autres informations. Hier tout d’abord, par télégraphe depuis Portsmouth. Elles m’ont été confirmées par courrier.

Il s’appuya au rebord de son bureau.

— C’est sensiblement ce à quoi je m’attendais. Après le naufrage, la frégate américaine l’Unité a embarqué tous les prisonniers qu’elle avait pu sauver à bord de l’Anémone. Les avaries qu’elle a subies l’ont empêchée de donner la chasse à notre convoi. Le capitaine de vaisseau Bolitho a accompli là un grand acte de bravoure. Il ne restera pas sans récompense.

Elle posa la main sur sa gorge et vit qu’il suivait son geste, que ses yeux s’attardaient même quelques secondes.

— Est-il vivant ? lui demanda-t-elle.

Un domestique entra avec un plateau. Il ne regarda ni l’un ni l’autre. Il ouvrit la bouteille avec une dextérité qui prouvait combien ce geste lui était familier.

— On m’a dit que vous aimiez le champagne, milady. Je crois que nous avons quelque chose à fêter. N’est-ce pas votre avis ?

Elle attendit la suite. Bethune supposait sans doute qu’elle avait d’autres motifs d’inquiétude. Bethune reprit :

— Il a été grièvement blessé, mais nos informateurs nous ont indiqué que, grâce au commodore américain, il était très bien soigné – il hésita pour la première fois : Nous ignorons tout de la gravité de sa blessure.

Catherine prit sa flûte, le froid traversait son gant. La lettre de Richard était gravée dans sa mémoire : l’arrivée d’Adam à Port-aux-Anglais, sa douleur en apprenant la mort de Zénoria.

Cela ressemblait à une saynète dans laquelle ils auraient tous eu leur texte à dire. Richard et son frère défunt ; Adam et Zénoria ; et, encore à venir, Valentine Keen.

Bethune mira son verre devant la fenêtre.

— Nous n’avons pas été avisés officiellement des intentions des Américains. Normalement, le capitaine de vaisseau Bolitho devrait être échangé contre l’un de nos prisonniers. Cependant, ils peuvent tout aussi bien décider de garder un commandant de cette stature, crédité de nombreux succès et de beaucoup de prises, ne serait-ce que pour se rappeler leur propre succès.

— Ou encore, s’en servir d’appât pour attirer son oncle dans un traquenard ?

— A-t-il évoqué cette idée dans l’une de ses lettres, milady ?

— Vous le connaissez bien, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas besoin de me le demander.

Il sourit en remplissant sa flûte.

— C’est exact.

Il ajouta :

— J’espère que vous me ferez l’honneur de me laisser vous accompagner à une réception.

Et il enchaîna aussitôt, comme s’il savait déjà qu’elle allait refuser.

— Je crois que vous connaissez Sir Paul Sillitœ, n’est-ce pas ? Il souhaite fêter son nouveau titre : il va bientôt rejoindre la Chambre des lords. Pardieu, cela va faire un adversaire redoutable !

C’est déjà un adversaire redoutable, pensa-t-elle.

— Je ne puis vous le promettre, sir Graham – elle esquissa un très léger sourire : Ne craignez-vous pas que j’écorne votre réputation ?

Il détourna les yeux et, l’espace d’une seconde, elle crut revoir l’aspirant avec ses taches de rousseur. Mais cela ne dura pas.

— Je goûterais fort votre compagnie, lady Somervell.

— La pluie se calme, lui répondit-elle, je vois le soleil qui perce. J’adore le soleil, en dépit de ce qu’il a essayé de nous faire un jour.

Il hocha gravement la tête.

— Le Pluvier Doré, oui. Je comprends. Puis-je vous demander quels sont vos projets pour la fin de la journée ?

Elle ne se laissa pas toucher par le ton de sa voix.

— Je dois recevoir une nouvelle femme de chambre, sir Graham. Mais il me faut d’abord me rendre à St James.

— Au palais, milady ?

Elle lui tendit sa main gantée, il se pencha. Elle éclata de rire :

— Non, au cellier, naturellement !

Bien après qu’un valet l’eut raccompagnée au bas des marches, Bethune continuait à la suivre des yeux.

Son secrétaire arriva et déposa quelques documents sur le bureau.

— Nous avons de mauvaises nouvelles, sir Graham.

Il attendit patiemment que son seigneur et maître daigne remarquer sa présence.

Bethune lui demanda :

— Avez-vous vu cette femme, mon vieux ? – puis, semblant comprendre ce qu’il venait de lui dire : Quelles nouvelles ?

— Ce n’est pas confirmé, sir Graham, mais nous avons reçu une dépêche relative à la frégate Guerrière de trente-huit canons. Elle a été battue et capturée par l’USS Constitution après un combat qui a duré seulement deux heures.

Bethune se leva et s’approcha de la fenêtre.

— Vous faites un bien triste personnage, Saunders. En une seule phrase vous banalisez un événement et le rendez honteux. Seulement deux heures, dites-vous ? J’ai moi-même déjà enduré cela ! – il fit volte-face : Croyez-moi, cela ressemble à l’enfer !

— Vous avez certainement raison, sir Graham.

L’amiral dédaigna cette hypocrisie onctueuse, préférant se remémorer la voix de Bolitho ici même, et l’incrédulité, pour ne pas dire l’amusement, qu’elle avait suscitée chez ceux qui l’écoutaient critiquer le concept de ligne de bataille. A présent, les auditeurs raisonneraient peut-être différemment. On avait déjà rapporté la perte d’une frégate dans les Caraïbes. L’Anémone, et ensuite, la Guerrière, vaincue et capturée si aisément. Certains allaient se rappeler les propos de Bolitho. Il se retourna vers la fenêtre, mais sa voiture avait disparu. Puis il sourit, prit la flûte à moitié vide de Catherine et posa les lèvres là où elle avait mis les siennes. Et il dit à voix haute :

— Nous verrons bien !

 

Le temps que Catherine arrive à Chelsea, le ciel s’était éclairci et les maisons alignées le long des quais de la Tamise brillaient au soleil. Le jeune Matthew déplia le marchepied et lui tendit la main pour l’aider. Il avait l’œil à tout.

— Je rentrerai le vin à la maison dès que j’aurai terminé de m’occuper des chevaux, milady.

Elle s’arrêta sur les marches.

— Vous détestez Londres, Matthew, n’est-ce pas ?

Il sourit, l’air penaud.

— Je m’y habitue pas, milady… c’est juste ça.

Elle lui sourit à son tour.

— Plus qu’une semaine. Puis nous retournerons à Falmouth.

Matthew la regarda ouvrir la porte d’entrée et soupira. Elle en faisait trop, elle prenait tout sur elle. Exactement comme lui.

Catherine poussa la porte et s’arrêta net dans l’entrée. Il y avait un bicorne à galon doré posé sur la table. Comme celui de Richard.

La nouvelle femme de chambre, Lucy, arriva dans l’escalier. Elle s’essuya la bouche d’un revers de main, toute surprise de voir sa maîtresse rentrer alors qu’elle ne l’attendait pas.

— Je suis désolée, milady… j’aurais dû être là, prête à…

Catherine l’écoutait à peine.

— Qui est ici ?

C’était impossible. Il le lui aurait fait savoir. Si seulement…

Lucy fixait le bicorne, sans rien comprendre à ce que tout cela signifiait.

— Il a dit qu’il fallait pas que vous vous en fassiez, milady. Il a dit qu’il laisserait sa carte si vous ne rentriez pas, et que sans ça, il attendrait dans le jardin.

— Qui ?

Lucy était une fille honnête, elle lui avait été recommandée par Nancy. Mais ce n’était pas Sophie. Parfaite dans la maison et comme femme de chambre, certes, mais lente et parfois exaspérante tant elle manquait de jugeote.

Catherine la planta là et se dirigea précipitamment vers la porte du jardin.

Valentine Keen se tenait près du mur. Elle le voyait de profil, seule remuait sa main qui caressait le chat du voisin. Il était difficilement reconnaissable dans son uniforme de contre-amiral, et le soleil d’Afrique avait presque blanchi sa chevelure blonde.

C’est seulement en entendant ses pas sur la terrasse qu’il se retourna, et elle put constater les changements qui s’étaient produits chez lui : de profonds cernes noirs sous les yeux, des rides marquées aux commissures des lèvres que même le sourire ne parvenait plus à effacer.

— Mon cher Val, lui dit-elle, je suis si heureuse que vous m’ayez attendue. J’ignorais que vous alliez venir – elle le serra dans ses bras : Quand êtes-vous rentré ?

Il la serra de toutes ses forces, était-ce affection ou désespoir ? Il y avait sans doute des deux.

— Il y a quelques jours. Je suis allé à Portsmouth, on m’a dit que vous étiez à Londres. Il fallait que je vous voie.

Les mots se bousculaient sur ses lèvres, elle ne l’interrompit pas. Qui avait bien pu lui dire qu’elle se trouvait à Londres ?

Bras dessus bras dessous, ils firent le tour du petit jardin. On entendait les bruits de la ville derrière le mur.

— Vous devriez faire attention avec ce chat, lui dit-elle. Il aime se faire les griffes quand on joue avec lui.

Keen la regardait intensément.

— Votre lettre m’a été d’un si grand secours. J’aurais aimé que tout cela ne vous tombe pas sur les épaules – il avala sa salive : Elle est enterrée à Zennor. Pourquoi ? Pardonnez ma question. Je n’arrive toujours pas à l’accepter.

— Il n’y a pas de preuve qu’elle se soit suicidée, Val, lui dit-elle doucement. C’est peut-être un accident. L’Église ne pouvait pas lui refuser une sépulture dans le cimetière de sa propre paroisse.

— Je vois.

Catherine songeait aux réticences du recteur. L’évêque lui avait fait part de son opposition, puisque la rumeur prétendait que cette femme avait attenté à ses jours.

— Le magistrat a été formel. Sa mort résulte d’un accident. C’est un piètre réconfort, je vous l’accorde, mais elle repose désormais en paix.

Le magistrat, c’était Roxby, sans quoi…

— Et vous étiez là. J’aurais dû me douter que vous étiez là.

Elle se tut, attendant la suite. Il lui demanda :

— Des membres de ma famille ont-ils assisté à son enterrement ?

— Ils ont envoyé des fleurs. N’en soyez pas amer. Ils ont suffisamment souffert comme cela, j’imagine.

Il ne répondit pas. Il ressassait, encore et encore. Il essayait de comprendre, d’établir la vérité, même s’il ne pouvait s’y faire. Il reprit :

— Je l’aimais tant. Même si elle n’a jamais su à quel point.

— Je crois qu’elle le savait, Val.

— Il faut que j’aille sur sa tombe. Dès que j’aurai réglé ce que j’ai à faire ici.

Il avait les traits tirés, comme si la douleur le rendait malade.

— Irez-vous avec moi, Catherine ? Dans cette église où nous nous sommes mariés ?

— Bien sûr. Il n’y a pas encore de pierre tombale, c’est à vous de la choisir – elle lui prit le bras, elle n’osait le regarder : Bien sûr, je viendrai.

Après un silence, il reprit :

— Vous êtes allée à l’Amirauté. A-t-on des nouvelles d’Adam ?

— Il est vivant et a été fait prisonnier. C’est tout ce qu’ils savent. Il ne nous reste qu’à espérer.

Elle lui rapporta les propos de Bethune et Keen murmura :

— J’espère qu’ils en savent plus que ce qu’ils veulent bien dire – puis il se tourna vers elle : On va donner une réception en l’honneur de Sir Paul Sillitœ. On me l’a appris aujourd’hui.

Elle eut un sourire un peu forcé.

— Je sais. On m’a même proposé de m’y rendre.

Elle pensait aux yeux de Bethune lorsqu’il lui en avait parlé. Elle avait peut-être imaginé ce qu’elle avait cru voir, mais elle n’avait jamais rencontré d’homme à qui elle puisse faire totalement confiance. A l’exception d’un seul.

— Allons-y ensemble, Catherine, lui demanda Keen. Personne ne pourra rien trouver à y redire et, compte tenu des circonstances…

Il laissa sa phrase inachevée.

Elle s’entendit lui répondre :

— Mon cher, j’en serai très honorée.

Richard comprendrait ; et il saurait aussi qu’il pourrait avoir besoin d’amis comme Sillitœ si leur pouvoir avait un poids réel.

Keen lui demanda soudain :

— Comment va Richard ?

— Il se ronge. Pour moi, pour Adam, pour ses hommes, pour ce qu’il a à faire – elle sourit : Même si je le pouvais, je ne voudrais pas le changer.

Le jour tombait.

— Je crois que la pluie va reprendre, nous ferions mieux de rentrer.

La gouvernante les attendait au bas de l’escalier, l’air sombre, et l’on entendait Lucy qui sanglotait quelque part.

La gouvernante jeta un regard indiscret à la main que Catherine avait posée sur le bras du contre-amiral. Elle lui dit :

— Elle a encore cassé deux tasses, milady ! Mais c’est pas Dieu vrai, cette fille me conduira droit à l’hospice !

Puis elle se radoucit :

— Je vais aller chercher le thé.

Ils s’assirent près de la fenêtre en regardant les feuilles trembler sous les premières grosses gouttes de pluie. Le chat avait disparu.

— Le bruit court que vous allez déménager à Plymouth, lui dit Catherine.

Il haussa les épaules.

— Ce n’est plus de saison. L’amiral en poste là-bas doit avoir une épouse – et il ajouta, avec une soudaine amertume : Je vais recevoir une nouvelle affectation à la mer. Le plus tôt sera le mieux !

— Avez-vous vu votre père ?

Il secoua négativement la tête.

— J’y vais après vous avoir quittée. Je suis sûr qu’il « travaille très tard à la Cité » !

Elle avait envie de le prendre dans ses bras, comme elle l’aurait fait avec un enfant, ou avec Richard, pour apaiser sa peine, le sortir de son désespoir. Il n’avait personne d’autre.

— J’aurais dû m’en rendre compte, reprit-il, vous comprenez ? Je formais tant de projets pour elle, pour notre fils aussi. Elle était comme vous, Catherine, c’était une créature si vive, si précieuse. Peut-être se sentait-elle perdue, dans mon monde. Mais elle ne me l’a jamais dit, et je ne le lui ai jamais demandé.

La gouvernante arriva avec du thé et ressortit sans un mot, sans un regard.

— Si seulement j’avais été avec elle ! reprit Keen, puis son ton se durcit : Elle s’est tuée, n’est-ce pas ? Je vous en prie, il faut que je sache la vérité.

— Elle n’était plus elle-même, Val.

Il baissa les yeux et contempla ses mains.

— Je le savais. J’aurais dû voir tous ces dangers.

Elle lui demanda doucement :

— Vous souvenez-vous de Cheney, la femme que Richard a épousée, puis qu’il a perdue ?

Il hésita.

— Oui, je m’en souviens.

— Même si le mariage nous est refusé, même si la société nous rejette – le mariage nous aurait peut-être infligé des blessures –, même si de telles choses sont impossibles, nous avons retrouvé quelqu’un d’autre, Richard et moi. L’avenir vous réserve peut-être une nouvelle chance, Val, et peut-être vous rendra-t-il le bonheur.

Il se leva et lui lâcha la main.

— Je dois me retirer, Catherine. Je me sens mieux de vous avoir parlé… comment dire, plus fort.

Il ne la regardait pas.

— Si un jour j’ai pareille bonne fortune, si ce que j’ai connu me laisse encore en douter, je ne saurais rêver femme plus admirable que vous.

Elle l’accompagna jusqu’à la porte, sachant très bien ce qu’il voulait dire. Ce n’était pas seulement un homme séduisant et de bonne compagnie ; il y avait quelque chose de plus profond. Il ne serait guère difficile d’aimer quelqu’un comme lui.

— Je demande à Matthew de vous emmener.

Il prit son bicorne et se tourna vers elle, l’air contrit.

— Je vous remercie, mais ma voiture m’attend à l’écurie.

Elle lui sourit.

— Vous ne souhaitiez pas faire marcher les langues en la laissant devant ma porte ?

Une fois en haut des marches, il lui prit la main et la baisa légèrement. Il y avait quelques passants, mais aucun ne pouvait savoir ni même deviner pourquoi ils étaient aussi émus.

Après qu’il eut disparu au coin de la rue, Catherine laissa son regard errer sur le fleuve en se souvenant des jours anciens. Les jardins d’agrément de Vauxhall ; les éclats de rire entre les arbres et les lanternes de la piste de danse ; les baisers échangés dans l’obscurité.

Elle posa la main sur sa gorge. Mon chéri, reviens-moi vite. Vite, très vite.

Le plateau du thé était toujours posé sur la table, intact.

 

Sir Paul Sillitœ écarta les bras, de sorte que Guthrie, son valet, puisse l’aider à enfiler sa belle veste de soie. Il en profita pour jeter un coup d’œil à son image qui se reflétait sur les vitres. Guthrie lui épousseta les épaules avant de hocher la tête, satisfait de son œuvre.

— Vous êtes superbe, sir Paul.

Il percevait les échos de la musique que l’on jouait sur la vaste terrasse où se donnerait sa réception. Les lieux étaient envahis de fleurs ; pour l’occasion, sa gouvernante n’avait pas regardé à la dépense. Tout n’était qu’extravagance. Il sourit à son reflet. Il se sentait tout exubérant, le cœur léger ; sensations assez rares chez cet homme habituellement maître de lui.

Il entendait déjà des voitures, les roues claquaient dans la grande allée : amis, ennemis, d’autres qui avaient quelque faveur à lui demander maintenant qu’il entrait à la Chambre des lords.

C’est le pouvoir, songeait-il, et non la popularité, qui est la clé de tout.

Il se tourna vers la rive opposée de la Tamise, la courbe de Chiswick Reach retenait encore les derniers rayons du soleil. On avait disposé des torches sur la terrasse, du champagne, des amuse-gueules à profusion pour ouvrir l’appétit des invités. Encore des dépenses. Pour une fois, cela le laissait assez indifférent.

Pourquoi avait-elle décidé de venir ? Pour le féliciter ? Peu vraisemblable. Pour une faveur, alors, ou pour une mission personnelle ou quelque intrigue, comme ce secret qu’elle lui avait confié avant même que Bolitho en ait connaissance, lorsqu’elle lui avait demandé de l’aider, quand ce père qu’elle détestait tant était mort à Whitechapel, dans ce bouge infâme. L’impasse du Quaker. Comment avait-elle pu supporter de grandir là-bas ?

Mais elle venait. Et accompagnée du contre-amiral Valentine Keen, autre ami de Bolitho. Ami, vraiment ? Après la mort de sa jeune femme – et les informateurs de Sillitœ lui avaient affirmé qu’elle avait mis fin à ses jours –, n’était-ce pas plutôt la compagnie de l’adorable Catherine qu’il recherchait pour trouver un peu de réconfort ?

S’il caresse de pareils espoirs, elle l’en dissuadera très vite, songea Sillitœ. Et s’il persiste, sa prochaine affectation risque fort de le ramener en Afrique, si ce n’est beaucoup plus loin encore.

Il passa la main sur son ventre. Plat et dur. Contrairement à tant d’autres qu’il connaissait, il prenait soin de dépenser son énergie dans ses loisirs comme au travail. Il aimait marcher, monter à cheval ; s’agissant de marche, il avait coutume de laisser Marlow, son secrétaire, trottiner près de lui pour lui dicter les lettres et dépêches du jour. C’était autant de temps de gagné.

L’escrime était une autre de ses activités préférées, et il perdait rarement lors des assauts fictifs à l’académie qu’il fréquentait.

Enfin, lorsque le besoin se faisait pressant, il se rendait dans une maison où tout le monde le connaissait, la tenancière comme les filles, et où l’on regardait d’un œil bienveillant ses passades.

Lorsqu’il serait titré, il aurait accompli tout ce qu’il s’était fixé dans l’existence, et il conserverait son empire sur le Prince régent le jour où il serait enfin porté au trône.

Une vie pleinement accomplie, alors ? Il songea à Catherine Somervell, une fois de plus. Peut-être était-ce encore possible.

Son valet s’aperçut qu’il se renfrognait et lui demanda :

— Quelque chose qui vous manquerait, sir Paul ?

— Je vais descendre, Guthrie. Il ne serait pas convenable que je ne sois pas présent dès le début.

Au fur et à mesure que l’on annonçait les invités, Sillitœ conservait le même sourire, répétant à chacun à peu près la même chose. Ce n’étaient pas exactement des mots de bienvenue, mais juste ce qu’il fallait pour leur montrer qu’il prenait note de leur respect. Ou de leur crainte. Cette pensée lui procurait une immense satisfaction.

Son regard allait sans cesse de la grande entrée voûtée aux valets de pied emperruqués qui transpiraient dans leurs épaisses tuniques en se précipitant avec leurs plateaux chargés de verres, tandis que d’autres, debout derrière les tables du buffet, s’inclinaient devant leurs victuailles tels des prêtres officiant à un autel rempli d’offrandes.

Le vice-amiral Sir Graham Bethune et sa frêle épouse. Deux ou trois généraux accompagnés de leur femme, des hommes politiques et des négociants de la Cité. Le père du contre-amiral Keen avait d’abord décliné l’invitation, prétextant d’autres engagements. Sillitœ avait rapidement rectifié la chose.

L’aboyeur donna un coup de sa canne sur les dalles de marbre.

— Vicomtesse Somervell ! – une pause : Et le contre-amiral Valentine Keen !

Le brouhaha des conversations s’estompa brusquement, comme les vagues qui viennent mourir sur la plage. Sillitœ prit la main de Catherine et la baisa.

— C’est si aimable à vous d’être venue, lady Catherine.

— Comment aurais-je pu ne pas le faire ? répondit-elle dans un sourire.

Puis Sillitœ salua Keen.

— Cela fait plaisir de vous savoir de retour, amiral. Et il y a ces nouvelles tragiques, naturellement. Toutes mes condoléances.

Il s’adressa ensuite à Catherine :

— Je reviens tout de suite.

Ses yeux s’attardèrent sur l’éventail de diamants entre ses seins.

— Vous me faites vraiment trop d’honneur.

Catherine et son cavalier sortirent sur la terrasse où les conversations avaient repris de plus belle. Keen lui dit :

— Je ne sais jamais à quoi m’en tenir exactement avec cet homme.

— Vous n’êtes pas le premier, Val – elle prit un verre sur un plateau : Ni le dernier. Mieux vaut rester prudent avec lui.

Elle n’avait pas prévu de participer à des festivités mondaines durant ce qui ne devait être qu’un bref séjour à Londres et n’avait pris avec elle qu’une seule robe de soirée. Celle que préférait Richard. Elle était en satin bleu, couleur de la robe d’un martin-pêcheur, si bien que ses cheveux relevés semblaient s’y refléter comme sur l’eau.

Mais le décolleté était très profond, et elle savait que l’on voyait toujours les brûlures que le soleil lui avait faites aux épaules, alors que cela remontait à près de quatre ans. Si longtemps, songea-t-elle, comment le temps pouvait-il passer aussi vite ? Elle ne voulait pas le laisser aller à rêver aux précieuses heures, aux journées qu’elle avait partagées avec Richard depuis, car elles ne reviendraient jamais plus. C’était du passé.

On avait allumé les torches, et les lumières qui brillaient sur le fleuve lui rappelaient plus que jamais les jardins d’agrément où elle l’avait emmené.

À sa surprise, elle reconnut le père de Valentine Keen, qui était arrivé sans être annoncé. Il fut présenté à Sillitœ. Elle avait entendu ce dernier lui dire d’une voix suave :

— Je suis si heureux que vous ayez pu modifier votre emploi du temps.

Mais ni l’un ni l’autre n’eurent un sourire.

Sillitœ leva les yeux vers une pendule trop richement décorée et quitta l’endroit où il se tenait, près de l’entrée. Elle le vit s’approcher, après avoir pris au passage un verre sur le plateau d’un valet.

— J’ai fait mon devoir d’hôte, lady Catherine. A présent, laissez-moi jouir de la lumière que vous semblez répandre partout où vous allez.

Puis, jetant à peine un regard à Keen :

— Votre père est venu, amiral. Il n’a personne à qui parler, je crois qu’il serait bon que vous alliez le voir.

Keen s’excusa avant d’aller rejoindre son père. Il n’avait pas soufflé mot de ses relations avec sa famille, mais semblait assez irrité de cette interruption.

— Était-ce bien vrai, sir Paul ?

— Naturellement. Mais je sens qu’il existe un gouffre entre le père et le fils, c’est très malheureux. Sans doute à cause de cette fille de Zennor, n’est-ce pas ?

— C’est cela.

Elle refusait de se laisser entraîner sur ce terrain.

— Eh bien, sir Paul ?

C’était le vice-amiral Bethune, accompagné de son épouse.

— Nous permettrez-vous de vous présenter tous deux nos félicitations ?

Mais ses yeux se tournaient un peu trop souvent vers Catherine.

La femme de Bethune intervint :

— Quel dommage que Sir Richard Bolitho ne soit pas récompensé de la sorte, après tout ce qu’il a fait pour l’Angleterre.

Cette fois-ci, Sillitœ n’avait pas vu le coup venir.

— Je ne suis pas sûr de comprendre ce que…

Elle reprit sans faire de phrases :

— La pairie, comme vous, sir Paul. Après tout, Lord Nelson a bien bénéficié de cet honneur !

— Vous n’avez pas le droit ! s’emporta Bethune.

Catherine saisit une seconde coupe de champagne et prit le temps de remercier le domestique. Elle bouillait intérieurement, mais réussit à garder un ton très calme.

— Si Sir Richard et moi devions nous séparer, madame, il n’irait jamais retrouver sa femme. Mais cela, je suis sûre que vous le savez.

Bethune essaya d’entraîner son épouse et Catherine l’entendit qui lui murmurait : « Vous voulez vraiment ruiner ma carrière ? »

— J’aurais dû prévenir cette sortie, dit Sillitœ. Cette femme est une vraie langue de vipère.

Catherine se força à sourire, mais son cœur battait à tout rompre. Inutile de se demander pourquoi Bethune s’intéressait à d’autres femmes que la sienne. Il méritait mieux. Sillitœ reprit brusquement :

— Permettez-moi de vous montrer quelque chose.

— Volontiers, répondit-elle, à condition que ce ne soit pas trop long. Ce ne serait pas très courtois pour mon cavalier.

Il lui sourit.

— Vous semblez avoir l’habitude de provoquer les officiers de marine, ma chère.

Ils longèrent une colonnade avant d’atteindre un escalier. Le mur était nu, à l’exception d’un portrait, celui d’un homme vêtu de sombre et qui portait au côté une épée à la garde, ornée comme dans l’ancien temps. En dépit de sa barbe à l’espagnole, soigneusement taillée, ç’aurait pu être son compagnon.

Il admirait son profil, la douce courbe de ses seins, la respiration que l’on devinait à peine lorsque le pendentif en diamants se soulevait un peu.

— Mon père.

Elle s’approcha pour l’observer de plus près. C’était étrange, elle ne savait rien d’autre de cet homme que le pouvoir qu’il détenait et la facilité avec laquelle il en usait. Comme si une porte ou un coffre-fort venait de s’entrouvrir pour la première fois.

— Comment était-il ?

— Je l’ai à peine connu. Ma mère était de santé fragile et il ne voulait pas que nous fassions de séjours trop prolongés aux Antilles. J’aspirais à vivre avec lui. Au lieu de cela, on m’a envoyé en pension, où des brimades incessantes m’ont enseigné qu’il est quelquefois nécessaire de réagir.

Elle tourna légèrement la tête pour contempler le portrait sous un autre éclairage. Ce même regard autoritaire, sous des arcades fortement marquées.

Les Antilles. Il avait déjà fait mention de ses plantations à la Jamaïque et ailleurs. Il était visiblement très riche, mais quelque chose lui manquait cependant. Elle lui demanda :

— Était-il dans les affaires, ou courtier comme son fils ?

Lui prenant le bras, il l’entraîna vers un grand balcon qui donnait sur la terrasse. On voyait les torches qui vacillaient, et, plus loin, le fleuve.

Il éclata d’un gros rire.

— Il était négrier. Marchand d’ébène. Et le meilleur de tous !

Sa robe crissait sur la balustrade, elle entendait des voix sur la terrasse. Tout cela semblait si lointain.

— Cette idée ne vous révolte pas trop, lady Catherine ?

— Les choses étaient différentes, autrefois.

Elle songeait à Tyacke, venu leur porter secours à bord de sa Larne.

— Il y aura toujours des esclaves, en dépit de ce que peuvent promettre les gens.

Il opina.

— Une tête bien faite derrière un aussi joli visage.

Ils allèrent jusqu’au bout du balcon. Elle lui dit :

— Je crois que nous devrions redescendre.

— Vous avez raison.

Mais il avait apparemment une idée en tête.

— Je dois vous dire, Lady Catherine, que vous êtes extrêmement séduisante. Je peux prendre soin de vous… si vous avez besoin de quoi que ce soit. Cela n’ajouterait pas au scandale, vous ne seriez plus exposée aux taquineries de sottes femmes comme l’épouse de Bethune. J’y veillerais personnellement !

Elle le regarda droit dans les yeux.

— Vous m’imaginez devenir votre maîtresse, vous savez ce que cela ferait au seul homme que j’aime ?

Il lui saisit les bras.

— Je vous propose d’être mon épouse, lady Catherine. C’est cela que je vous demande. De devenir ma femme.

Elle se dégagea doucement et passa le bras sous le sien.

— Je suis désolée, sir Paul. J’avais cru…

— Je comprends – il pressa son bras contre sa hanche : Puis-je espérer ?

— Vous me remplissez de confusion.

Elle le regardait toujours, mais ce qu’elle voyait, c’était l’homme du portrait.

— Un jour, je suis venue implorer votre aide. Je n’oublie pas. Mais ne vous en prenez ni à moi ni à Richard si je décline votre proposition.

— Ah, votre cavalier arrive !

Elle se retourna. Sillitœ avait déjà repris contenance. Comme si toute cette scène avait été le fruit de son imagination.

Lorsqu’il se fut retiré, Keen lui demanda d’un ton rempli de soupçon :

— Que s’est-il passé ? Je me suis inquiété de vous.

Elle vit des têtes qui se retournaient, et des lèvres qui, dans cette nuit estivale et humide, murmuraient derrière les éventails. Elle repensait aux mots de Sillitœ, à la fierté tranquille qu’il éprouvait envers son père.

— Il m’a fait visiter quelques pièces de sa demeure. Et vous ?

— Mon père a bâti des projets fous pour me faire quitter la marine. Il vient de signer un contrat avec la Compagnie des Indes orientales. Développement, progrès, vous connaissez le langage qu’il utilise.

Catherine l’observa soudain avec une certaine inquiétude. Il avait bu, et plus que de raison. Il avait perdu un peu de l’assurance qu’elle lui avait vue à Chelsea.

— Il n’y comprend rien, reprit Keen. La marine est ma vie.

Et désormais, je n’ai plus d’autre vie. La guerre ne durera pas éternellement, mais tant qu’elle est là, je conserverai mon poste dans la ligne de bataille comme je me suis engagé à le faire !

Il avait parlé d’un ton plus grave qu’il n’aurait voulu. Elle lui dit doucement :

— Vous vous exprimez exactement comme Richard.

Il se frotta les yeux, comme s’ils le piquaient.

— Richard, oh, Richard ! Combien je l’envie à présent !

Sillitœ apparut comme par magie.

— Vous partez, lady Catherine ? – et, jetant un rapide coup d’œil à Keen – Vous êtes en sécurité ?

Elle lui donna sa main à baiser. Elle le regarda faire, comme si elle assistait à cette scène en spectatrice.

— En sécurité, sir Paul ? – elle effleura le pendentif de diamants : Mais je suis toujours en sécurité !

Elle devinait qu’il les regardait toujours lorsque Matthew conduisit adroitement sa voiture dans l’allée qui menait aux marches.

Une soirée ordinaire, mais troublante. Elle allait écrire à Richard pour la lui raconter. Pas de secrets. Il n’y en aurait jamais entre eux.

Keen s’appuyait contre elle et elle devina qu’il s’endormait. Sa chevauchée depuis Portsmouth, Londres et son père qui essayait une fois de plus de le contraindre. Comment pouvait-il n’avoir aucun remords, aucun sentiment de honte alors que Zénoria s’était jetée dans le vide pendant qu’elle était sous la protection de sa famille ?

Catherine regardait les arbres défiler au clair de lune, elle se demandait où se trouvait en ce moment L’Indomptable, ce que faisait Richard.

Elle sentait la tête de Keen sur son épaule. Il somnolait sans dormir vraiment. Cela n’était pas dû uniquement au champagne, mais sans doute aussi aux idées de son père.

Elle le remit en place sur les coussins et essaya de retenir sa respiration. Elle sentit ses lèvres se poser sur sa peau, se faire insistantes et il murmura : « Oh, Catherine ! » Il s’appuya un peu plus fort sur la courbe de son sein et l’embrassa encore. Il avait le souffle tiède, désespéré.

Catherine serra les poings et se détourna dans l’obscurité. Les doigts de Keen se promenaient sur sa robe, elle la sentait glisser, dégageant son sein qui s’offrit à ses lèvres.

Puis la main de Keen se glissa entre ses jambes et, très délicatement, elle la retira.

Elle tapa sur le toit, et lorsque Matthew répondit, elle lui cria :

— Nous allons déposer l’amiral à la demeure de son père.

— Tout va bien, milady ?

Elle sourit, mais elle était bien décidée à mentir. Elle rajusta sa tenue.

— Je suis toujours en sécurité, Matthew.

Elle attendit que sa respiration redevienne régulière. Elle y avait échappé de peu. Cette pensée la troublait.

Était-ce à cela que conduisaient la perte d’un être cher et la solitude ?

Ils arrivèrent à la résidence des Keen, sur une place tranquille et arborée. Elle vit un valet de pied se précipiter en bas des marches pour accueillir la voiture. Était-il de service, nuit et jour, au cas où un visiteur se présenterait ?

Cette idée manqua la faire éclater de rire. Elle tapa sur l’épaule de Keen et attendit qu’il eût recouvré ses esprits. Elle savait que si elle se laissait aller, elle allait se mettre à pleurer et ne parviendrait jamais à s’arrêter. Keen lui demanda :

— Voulez-vous descendre pour saluer mon père ?

— Non, il se fait tard – devinant que Matthew l’écoutait, elle ajouta : Je dois repartir très vite pour Falmouth.

Keen lui prit le bras et la regarda dans la pénombre.

— Je me suis mal conduit avec vous, Catherine ! Je n’étais plus maître de moi.

Elle posa un doigt sur les lèvres.

— Je ne suis pas en bois, Val.

Il hocha tristement la tête.

— Vous ne me ferez plus jamais confiance. Je me suis conduit comme un imbécile.

— Je vous emmènerai à Zennor, lui répondit-elle. Je dois donc vous faire confiance.

Il l’embrassa sur les lèvres ; elle se raidit avant de se reculer doucement.

Matthew donna une secousse à ses rênes et la maison s’enfonça progressivement dans l’ombre. Qu’allaient-ils dire à Falmouth, quand ils sauraient qu’il avait fait le cocher au milieu de toutes ces belles demeures, de ces endroits magnifiques dont ils n’avaient seulement jamais entendu parler ?

Il songeait au jeune officier qu’il venait de déposer chez lui. Il se détendit et rangea un solide gourdin sous son coussin.

Amiral ou pas, s’il avait osé poser un doigt sur Milady, il aurait mis une semaine à se réveiller !

Puis, sifflotant doucement entre ses dents, il fit tourner ses chevaux et prit le chemin du fleuve.

 

Au nom de la liberté
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